By Frédéric Madiot on Tuesday, 18 June 2024
Category: Blog

Eco-conception de systèmes complexes : l'intérêt d'intégrer ACV et Ingénierie Système

Les 5 et 6 juin a eu lieu à Nantes le festival Et Demain? au cours duquel j’ai eu la chance et l’immense plaisir d’intervenir.

Ce festival organisé par La Cantine Numérique de Nantes (à l’origine des célèbres Web2Day) se voulait un évènement pour les “professionnels·es qui souhaitent faire évoluer leurs pratiques, leurs métiers, leurs façon de communiquer et de travailler pour façonner un futur soutenable”. Pari réussi !

Une des innovations fut la collaboration avec EMC2, le pôle de compétitivité européen des technologies de fabrication, basé à Nantes, à qui la Cantine Numérique avait confié un track “Industrie”. C’est dans le cadre que j’ai été invité à témoigner lors de la table ronde “Disrupter les industries pour un futur soutenable” animée par Landry Chiron d'EMC2, aux côtés de Julie Vaudour, directrice adjointe R&T de Daher, et de Franck Halary, chargé de recherche à l’INSERM.

 

L’objectif de mon intervention sur ce thème hyper-ambitieux ? Parler des travaux que nous menons à Obeo pour faciliter l’éco-conception de systèmes complexes… Pas simple ! D’autant plus devant un public composé à la fois de novices sur ce sujet, mais aussi d’experts très pointus.

J’ai donc commencé par expliquer ce que l’on entend par système complexe et le rapport avec Obeo.

Concrètement, il s’agit de systèmes tels que des trains, des satellites, des voitures, Mais ça peut aussi être le système d'information d'une grande entreprise. Ou même une chaîne de production industrielle.

Ce qui caractérise un système complexe c'est qu'il est constitué de centaines, voire de milliers de composants. Sur une voiture hybride par exemple, on a entre 20 000 et 30 000 pièces différentes. Que ce soit des pièces de structure, mécaniques, hydrauliques, électroniques, d’aménagement intérieur, etc. Et sur un avion comme l'airbus A380 ce sont environ 4 millions de pièces. Toutes ces pièces, sont conçues par des équipes différentes, et une myriade de sous-traitants. La complexité vient du nombre de composants, mais surtout du fait qu’ils intéragissent entre eux, pour échanger de l'information, et globalement pour réaliser collectivement les fonctions attendues par le système.

Dans le cas d’une voiture autonome par exemple, le comportement de la voiture n'est pas programmé directement, il émerge de la combinaison des interactions entre les différents sous-systèmes de perception, de planification de trajectoire et de contrôle de mouvement.

Notre mission à Obeo c'est de fournir des logiciels qui permettent aux architectes d'un système complexe de travailler ensemble pour décrire graphiquement toute cette architecture au bon niveau de complexité. Qu’ils puissent identifier et représenter les différentes fonctions du système, comment elles s'enchaînent, quels sont les composants du système qui permettent de les réaliser. Et qu'ils puissent partager cette connaissance avec l'ensemble des personnes concernées.

Un exemple d’outil de modélisation de système complexe est Capella, le logiciel MBSE (Model-Based Systems Engineering) développé par Thales avec l’aide d’Obeo.

Dans le domaine aérien par exemple, Capella est utilisé par nombreux industriels qui conçoivent des avions. A leur échelle, ils ne s’occupent pas des centaines de milliers de pièces qui constituent un avion, ils se contentent de rester au niveau de détail qui les concerne. Si on prend le moteur de l’avion, ils le considèrent juste comme un composant, sans s’occuper des milliers de pièces qui le composent. Par contre, Rolls Royce qui conçoit l'UltraFan, un moteur d'avion de nouvelle génération qui permet d'économiser 25% de carburant, travaille à l’échelle du moteur. Et à l'inverse, Thales conçoit des systèmes de contrôle aérien. Ils ont récemment conçu celui de l'Australie (OneSky) qui est l’un des plus modernes au monde. Dans ce type de système, cette fois-ci c'est l'avion qui est vu comme un composant.


L'objectif avec Capella est qu’un industriel puisse répondre à trois grandes questions :

Par contre aujourd'hui il existe une question à laquelle il est très compliqué de répondre : quel est l'impact de mon système sur l'environnement ?

Quand on parle d'impact sur l'environnement, on pense généralement aux émissions carbone. Mais c'est très réducteur, car pour évaluer l'impact réel il faut aussi prendre en compte d'autres types de facteurs : la pollution (les nitrates, les particules fines, les radiations, les métaux lourds), la consommation de ressources (l'énergie, eau, terres rares, etc), l'acidification des océans, etc. Et il faut les évaluer sur l'ensemble du cycle de vie du système : l'extraction des matières premières, la fabrication, l’utilisation, et la fin de vie, avec un possible recyclage pour alimenter la fabrication d'autres produits.

Pour réaliser ce type d’évaluation, il est nécessaire de mener une Analyse du Cycle de Vie (ACV). Mais plus le système à analyser est complexe, plus il est difficile aujourd'hui de produire des ACV fiables. Elles sont généralement très simplifiées, et surtout comme on ne peut pas en réaliser beaucoup (en raison de leur coût), elles interviennent souvent à la fin du processus de conception, une fois que tous les choix ont été faits.

Or si l’on veut vraiment diminuer l'impact des systèmes que l'on produit, il faut pouvoir réduire le temps passé à réaliser leur ACV. Car ainsi on peut en réaliser plus souvent, et donc beaucoup plus tôt, dès la phase de conception, de manière à évaluer différentes alternatives de conception en fonction de leurs impacts environnementaux.

Le problème aujourd’hui, c’est que pour réaliser une ACV il faut commencer par saisir à la main, dans un logiciel spécialisé, l’architecture du système à analyser. C’est très compliqué, car il faut trouver cette information qui est souvent noyée et éclatée dans de nombreux documents très techniques. Et en pratique, on le constate chez nos clients, les ingénieurs systèmes et les experts en ACV travaillent très rarement ensemble. En fait, les experts ACV sont principalement mobilisés pour rédiger les bilans carbone des entreprises. On leur demande plus souvent de mesurer l’existant plutôt que de rechercher des solutions.

A Obeo nous cherchons donc à casser les barrières entre le monde de la conception et celui des experts ACV : que les ingénieurs systèmes prennent en compte les contraintes environnementales dès le début, et que les experts en ACV soient véritablement intégrés dans les équipes d’ingénierie.

La solution sur laquelle nous travaillons consiste à exploiter les données qui ont déjà été saisies par les ingénieurs systèmes avec nos logiciels de modélisation. L’idée c’est de réutiliser ces données et de les compléter pour produire automatiquement des ACV.

Si l’on prend l’exemple d’une voiture, les ingénieurs système qui travaillent sur son architecture avec le logiciel Capella ont déjà un modèle numérique qui décrit l'ensemble des principaux composants.

 

Ce qu’on leur propose c’est une extension au logiciel Capella (add-on) qui permet d’enrichir le modèle système pour y ajouter toutes les informations supplémentaires permettant de calculer une ACV.

Cela commence par les durées de vie de chaque composant, ce qui permet de calculer combien de fois il faudra les remplacer. Par exemple si la voiture est conçue pour durer 250 000 km et que ses pneus ont une durée de vie de 50 000km, alors on peut déduire automatiquement qu'il faudra en moyenne 5 trains de pneus sur la durée de vie de la voiture, donc que l'impact des pneus doit être multiplié par 5.

Ensuite on va définir le profil d’utilisation prévu du système. Par exemple si on conçoit une voiture citadine, on peut définir deux modes de conduite: un mode urbain pendant 70% de son utilisation, et un mode extra-urbain pour les 30% restants.

Et pour finir, on va permettre d’associer et de quantifier des flux de matières ou de ressources pour chaque composant. Pour ça on va pouvoir s’appuyer sur les bases de données qui recensent déjà les impacts de millions de matériaux, de composants ou de processus industriels. Il en existe plusieurs centaines de milliers en fonction des domaines.Par exemple le type de carburant et la quantité consommée par kilomètre, en mode urbain et en mode extra-urbain. La quantité d’acier pour produire la carosserie, la quantité d’énergie, la quantité d’eau, mais aussi celle des déchets générés.

 

Toutes ces informations on est capable de les injecter dans un logiciel d'ACV du marché (OpenLCA par exemple) pour calculer automatiquement les impacts environnementaux, plutôt que de les saisir à la main dans le logiciel d’AVC. Ce qui permet de gagner un temps considérable, tout en évitant des erreurs de saisie.

 

Pour évaluer la solution, nous avons mené plusieurs expérimentations sur des vrais systèmes : un bateau de dépollution capable de collecter des déchets plastiques aux embouchures des fleuves, et un navire de soutien éolien.

Dans les deux cas, nous avons réussi à calculer exactement les mêmes impacts en générant l’ACV depuis le modèle système, par rapport à une saisie manuelle qui avait été faite directement dans le logiciel OpenLCA. Nous avons pu mesurer un gain de temps d’au moins 50% pour réaliser l’ACV avec notre solution.

Mais en plus du gain sur une ACV, notre solution permet d’effectuer plus facilement de nombreuses autres analyses, en fonction des besoins :

Grâce à cette capacité à intégrer les problématiques d'impacts environnementaux au coeur du processus de conception, l’ACV devient un véritable outil d’aide à la conception.

 

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