By Frédéric Madiot on Friday, 29 November 2024
Category: Blog

IA: Quels impacts pour l’EA?

L’avènement des LLM (Large Language Model), spécialisés dans le traitement du langage naturel, a permis de rendre l’IA générative accessible au grand public. Depuis, on découvre tous les jours de nouveaux cas d’usage et domaines d’application.

La plupart des métiers sont désormais potentiellement impactés par un usage de l’IA générative (produire du contenu, synthétiser de la connaissance sur un sujet, conseiller sur un plan d’action, etc…).

Cette innovation concerne bien évidemment l'Architecture d’Entreprise (EA, pour Enterprise Architecture), la démarche qui consiste à analyser et aligner les objectifs de l'entreprise avec son organisation, son patrimoine et ses pratiques, au travers d’une modélisation de ses différentes dimensions (métier, applications, technologies).

Dans cet article (rédigé à l’ancienne, sans l’aide de l’IA ;-) ), je dresse un rapide tour d’horizon des impacts de l’IA générative sur cette discipline, selon deux axes :

 

Modéliser l'IA et ses impacts dans le référentiel EA de l’entreprise

Lors d’un discours en novembre 2024, Denis Beau, Premier sous-gouverneur de la Banque de France a déclaré que “l’IA est utilisée de façon croissante par les institutions financières, dans tous les segments de la chaine de valeur. Celles-ci s’en servent en particulier pour améliorer « l’expérience utilisateur », mais aussi pour automatiser et optimiser nombre de processus internes. L’IA est également utilisée pour le contrôle et la maîtrise des risques”.

Dans le domaine des collectivités, une étude de l'Institut National des Études Territoriales, menée en avril 2024 a évalué qu’au moins “25 % des tâches des métiers exercés par les agents peuvent être effectuées, en totalité ou en partie, par l’IA générative”.

C’est une évidence, l’IA pénètre progressivement de nombreuses activités de l’entreprise et est au cœur de multiples transformations. Cela doit donc se matérialiser dans le référentiel d’architecture de l’entreprise. Tant au niveau de l’existant, pour décrire où et comment est déjà utilisée l’IA, qu’au niveau des trajectoires de transformation, pour une meilleure maîtrise de l’adoption de cette technologie et de ses impacts, aussi bien organisationnels que techniques.

Concrètement, le modèle d’EA permet de tracer l’IA à plusieurs niveaux:

Le système d’information

Au niveau technique, il s’agit de modéliser quelles techniques (ou combinaisons de techniques) d’IA sont utilisées (LLM, traitement du langage naturel, Deep Learning, IA générative, etc), avec quels outils (OpenAI GPT, Mistral AI, Microsoft Copilot, Midjourney, TensorFlow, etc) et dans quelles versions ? Pour fournir quels types de services ? Est-ce qu’elles sont déployées en local, dans un cloud privé, ou un cloud public ? Sont-elles entraînées sur des données publiques ou internes à l’entreprise ? Si elles sont internes, ont-elles un caractère confidentiel (stratégie de l’entreprise, données personnelles, données commerciales, etc) qui nécessite des mesures de sécurité plus strictes ? Sont-elles branchées sur d’autres applications pour obtenir ces données ? Où vont les contenus générés ? Quels sont les coûts d’usage ? Etc.

Toutes ces informations peuvent être décrites dans le modèle de l’entreprise, au niveau de la couche technique.

Le métier

À l’opposé, au niveau métier, le modèle d’architecture permettra de décrire comment et pourquoi ces technologies sont-elles utilisées.

Grâce à la traçabilité entre le modèle métier et le modèle du système d’information, on peut notamment déduire les processus concernés, ainsi que les acteurs, leurs rôles et leurs fonctions. De cette façon, il est possible d’optimiser les utilisations de l’IA, ou de mieux identifier les risques liés à des usages non conformes (pouvant entraîner des fuites de données par exemple).
Surtout, le modèle permettra de décrire les transformations engendrées par l’IA: la modification de certains processus intégrant des agents virtuels (tels que les agents conversationnels dans les métiers du support), ou même l’apparition de nouveaux métiers.

 

Utiliser l’IA pour assister le métier de l’EA

L’autre impact de l’IA générative sur le métier de l’Architecte d’Entreprise concerne l’assistance, en tant qu’outil, qu’elle peut fournir dans le travail quotidien de modélisation et d’analyse de l’entreprise et de ses transformations.

Cette assistance, quand elle est utilisée de manière raisonnée, peut être utile à plusieurs niveaux et pour plusieurs cas d’usage.

Utilisation classique (non intégrée)

Le premier niveau d’usage de l’IA générative consiste à utiliser un agent conversationnel, de type ChatGPT, pour poser des questions sur des sujets d’ordre général et obtenir des réponses qui peuvent aider l’architecte dans son travail de modélisation.

Ce type d’agent peut être très utile pour obtenir des informations synthétiques sur des sujets complexes. Il peut s’agir de sujets liés au métier de l’entreprise :

Il peut également s’agir de questions techniques concernant le système d’information :

Les réponses fournies sont souvent assez générales (et pas toujours complètement fiables) mais elles permettent aux Architectes d’Entreprise de gagner du temps en obtenant rapidement un premier premier niveau d’information synthétique, avant, si besoin, d’explorer le sujet plus en profondeur.

Un autre moyen d’utiliser ces agents conversationnels est de les brancher sur des données propres à l’entreprise, ce qui permet d’obtenir des réponses beaucoup plus fiables et contextuelles.

Par exemple, pour un Architecte d’Entreprise il pourrait être intéressant de pouvoir interroger un modèle de langage branché sur des documents internes (procédures, supports de formation, documents d’architecture, etc). Ou même, moyennant un travail d’intégration, utiliser des logs d’exécution du moteur de workflow qui pilote certains des processus métier de l’entreprise.

Dans ce cas d’une exploitation de données internes, se pose alors la question, comme pour tout autre employé de l’entreprise, de la confidentialité de ces données, et donc de la nécessité de travailler sur un instance privée avec des garanties suffisantes de sécurité (notamment que ces données ne sont pas utilisées pour entraîner des moteurs pour d’autres entreprises, avec le risque de dévoiler ces informations en générant des réponses).

L’autre problématique sur les données internes concerne leur fiabilité. Il est en effet primordial de s’assurer que les documents fournis sont à jour et reflètent un état réel de l’entreprise, et pas un état obsolète (une ancienne procédure qui n’est plus d’actualité) ou restée à l’état de projet (une nouvelle application jamais déployée).

Utilisation intégrée

Pour aller plus loin dans l’assistance que peut apporter l’IA générative, l’idéal est de l’intégrer directement avec l’outillage d’Architecture d’Entreprise.

Aide à l’usage

Le premier cas d’usage concerne une assistance à l’utilisation de l’outil : comprendre les fonctionnalités, savoir comment réaliser telle opération, etc. Pour cela, il est possible de brancher une IA sur la documentation de l’outil (documentation de référence, base de données du support technique, forum utilisateurs, etc).

C’est un sujet sur lequel nous travaillons à Obeo, pour assister nos utilisateurs via un chat intégré dans l’outil.

Aide à l’analyse du référentiel

Mais il est également possible de travailler directement avec le référentiel d’architecture géré par un outil d’EA tel qu’Obeo SmartEA.

On ouvre alors tout un champ de nouvelles possibilités en terme d’assistance à la modélisation et à l’analyse de l’entreprise.

En effet, pour naviguer dans des données structurées, comme c’est le cas d’un référentiel d’architecture basé sur un langage comme ArchiMate, l’utilisateur doit passer par des outils d’exploration. Ceux-ci peuvent être visuels, pour garder une expérience utilisateur simple, mais dans ce cas ils peuvent être un peu trop limités. Ou ils peuvent être textuels, à base de requêtes pour tirer pleinement parti du modèle de données, mais s’avérer un peu trop techniques.

Dans Obeo SmartEA, l’accès par requêtage au modèle s’effectue via le langage AQL (un dérivé simplifié du langage OCL). Ce langage est très puissant, mais peut être difficile d’accès à des profils non techniques.

Dans la nouvelle version d’Obeo SmartEA (8.2) il est possible de se brancher sur un LLM pour interroger le modèle à l’aide de questions exprimées en langage naturel.

Obeo SmartEA utilise ainsi le LLM pour lui faire générer une requête AQL qu’il exécute ensuite sur le modèle.

Thibault Béziers la Fosse, qui a travaillé au développement de cette nouvelle fonctionnalité, la présente en détail dans ce post de blog.

Ce mécanisme ouvre la voie à d’autres types d’assistance à l’analyse. On pourrait par exemple étendre l’usage du LLM pour valider le contenu du référentiel, détecter des incohérences, des doublons sémantiques. Ou encore identifier des écarts entre ce qui est modélisé et ce qui est décrit dans des documents de l’entreprise.

Aide à la modélisation

Plutôt que de générer du texte, que l’architecte doit interpréter et convertir manuellement en concepts de modélisation (créer un acteur, un processus, une application, valoriser leurs attributs, les reliers par certains types de relations), une IA générative peut elle-même produire les objets du modèle correspondant et les insérer dans le modèle.

En termes d’intégration, cela suppose que l’outil d’architecture soit suffisamment ouvert pour permettre ce type d’interopérabilité.

Un prototype d’intégration a été réalisé par Cédric Brun avec un outil UML basé sur Sirius Web. Dans cet exemple, des demandes sont exprimées en langage naturel et créent automatiquement des éléments dans le modèle.

Comme évoqué précédemment, la qualité du contenu créé par l’IA (ici des éléments de modèle sur le thème du Seigneur des Anneaux) dépend de la qualité des informations avec lesquelles l’IA a été entraînée et du contexte qui lui est fourni pour élaborer ses réponses.

En particulier, pour réussir à modéliser une architecture d’Entreprise avec un langage de type ArchiMate, il est nécessaire de l’alimenter avec des règles de modélisation… et donc de les avoir décrites en amont. La façon la plus efficace pour formaliser ces règles reste encore à définir (description textuelle, extensions du métamodèle ArchiMate, modèles d’exemples, etc…).

Les idées ne manquent pas, et je suis persuadé qu’elles vont alimenter pour un certain temps encore nos équipes de développement sur ce sujet de l’IA et de l’EA !